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Causerie

S'il est vrai, comme on le répète volontiers, que la musique adoucisse les moeurs, il ne doit; pas y avoir présentement de ville au monde où les moeurs soient aussi douces qu'à Lyon.

Car nulle part on ne vit tant de musiciens à la fois et on n'entendit tant de musique. Ce ne sont dans les rues débordantes d'harmonie qu'orphéons et fanfares, que bugles, trombones et clarinettes, que bannières aux couleurs éclatantes et somptueuses recouvertes de médailles d'or clair, traversant la cité au milieu de l'acclamation des foules.

Cette phalange sonore de vingt mille musiciens se pressant au concours de Lyon dénote à quel point le goût de la musique s'est répandu dans les masses populaires. Il n'est pour ainsi dire pas de petite ville qui n'ait aujourd'hui son orphéon ou sa fanfare, et quelquefois les deux. Tous les notables de l'endroit s'intéressent à la vie matérielle et aux progrès de la société musicale. Le dimanche elle joue sur le cours ou la promenade. C'est une institution locale qui est la joie du chef-lieu de canton, comme elle en est l'orgueil si clans les concours il lui arrive d'elle victorieuse.

Nous avons reçu au Progrès, pendant ces deux jours, la visite de plusieurs sociétés ayant gagné des prix qui nous ont régalés avec des aubades. Il fallait voir la satisfaction des présidents et des membres honoraires détaillant avec complaisance les récompenses obtenues ! L'un d'eux, auquel nous demandions de nous écrire son nom pour le faire passer dans le journal avec quelques éloges sur sa fanfare nous fit cette belle réponse : Oh monsieur, je ne pourrai jamais ; je suis trop ému par nos trois prix ; ma main tremblerait d'orgueil !

Il ne faut pas rire de cet enthousiasme lyrique. Il part d'un sentiment d'émulation et de solidarité qui est une des forces vives du tempérament français. Et puis, comment n'aimerions-nous pas ces braves gens qui sèment sur leur passage les beaux sons et les rythmes ailés ? Ne rappellent-ils pas le vieil emblème national, le coq gaulois hardiment dressé sur ses ergots pour mieux lancer son chant clair ?

Quelques jours avant les musiciens, nous avons eu, à Lyon, les troubadours. Félibres et cigaliers, accompagnés d'une nombreuse suite de journalistes parisiens, ont reçu, de l'Exposition et de la presse lyonnaise, une cordiale hospitalité d'un jour avant de descendre tout le long du Rhône jusqu'en Avignon. Comme dit le poète : « la fête fut charmante et fort bien ordonnée ». MM. Claret ont été chaudement félicités pour les splendeurs de l'Exposition, et tous ces « gendelettres », assez sceptiques au fond, ne tarissaient point de louanges sur ce début de leur joyeuse odyssée.

Quelques-uns pourtant étaient venus avec quelques préventions. Le capoulié Roumanille a eu beau écrire que Lyon est « la porte d'or et de soie du Midi », beaucoup de gens croient encore à la légende qui fait de la seconde ville de France une étape à brûler comme importune quand on voyage pour son plaisir. Nos invités de l'autre jour se sont convaincus du contraire. Ils ont dit bien haut, et ils l'ont écrit, que Lyon est une ville superbe et pittoresque et que son Exposition fait grande figure après celle de Paris, tout en laissant fort loin derrière elle l'exhibition d'Anvers qu'on lui oppose dans certains journaux, avec une mauvaise foi qu'on a peine à croire désintéressée et qui est, en tout cas, fort peu patriotique.

Journalistes et félibres se sont extasiés sur le beau paysage qui sert d'écrin à l'Exposition ; sur ses jardins féeriques; sur l'imposante cathédrale de fer, où s'entassent tant de merveilles d'industrie et d'art, qui s'appelle la grande coupole ; sur l'exotisme grouillant et bariolé des villages nègre, annamite et arabe ; sur l'étalage si frappant et si complet des ressources de nos colonies présenté dans les palais coloniaux, et enfin sur l'éblouissement magique des fêtes de nuit sur l'eau...

J'allais oublier une attraction assez récente que nos visiteurs ont fort goûtée : le café-concert organisé par M. Claret fils derrière le palais des Arts religieux. Je ne sais rien de plus agréable que de venir se reposer là, après une longue promenade à l'Exposition, sous les vertes fouillées qui entourent cette coquette et joyeuse scène.

On y voit de jolies femmes avec de jolies voix et des comiques vraiment comiques. Et le soir on y joue une revue fort habilement troussée et habillée par MM. Verdelet et Cinoh, des « revuistes » qui connaissent à fond leur métier. Cela s'appelle : « Autour de la Coupole » titre de circonstance qui vous dit tout, et c'est une allègre pochade sans prétention, dont les scènes alertes se succèdent dans un défilé plein de verve.

En revenant de la revue de l'Exposition tous nos félibres, même les plus haut gradés, « chancelier ou membres de la manitenance », avaient des airs guillerets, comme il sied à des gens qui ont entendu de bonnes « galéjades ».

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